Quand Détroit brûlait sous le regard de John Lee Hooker...

  Si la ville de Détroit est avant tout connue, sur le plan musical, pour les productions ouatées et popisantes de la Motown qui contrastent tant avec la rugosité d'une cité qui fut celle du fer et du feu des usines Ford, elle fut également l'un des lieux où le blues opéra une de ses mues à travers l’œuvre de John Lee Hooker. Né en 1917 dans la mythique ville de Clarksdale, où virent le jour Son House, Junior Parker, Bukka White ou Sam Cooke, il quittera les lieux pour émigrer vers le Nord avant de s'installer définitivement à Détroit en 1943. C'est en ce lieu que Hooker, entre deux petits jobs, perfectionnera son art dans les bars de la Motor City et participera, à l'instar de Muddy Waters à Chicago, à l'électrification du blues.

 



 

 

    Or l'année d'arrivée de John Lee Hooker à Detroit, coïncida avec un soulèvement qui éclata au moment où la propagande de guerre américaine s'intensifiait pour accélérer le recrutement des hommes noirs au sein de l'armée. Témoin de la sauvage répression qui s’ensuivit et à propos de laquelle la célèbre revue noire The Crisis titrera The Gestapo in Detroit”, le musicien assistera quelques vingts ans plus tard à un nouveau soulèvement. Cet épisode, parmi les plus marquants du fameux Long, hot summer, s’étendra du 23 au 28 juillet 1967 et provoquera la mort de 40 personnes.


C'est ce dont témoigne le titre The Motor city is burning qui sortira quelques semaines après la fin de la révolte. Dès le premier couplet, John Lee Hooker, qui place comme un observateur dépassé par les événements, opérera le parallèle entre la situation des ghettos noirs qui hurlent le feu et qui sont assaillis par la soldatesque et la guerre du Vietnam...




La ville du moteur brûle
Et il n'y a rien au monde que je puisse faire
Parce que vous savez, la grande D brûle
Et il n'y a rien au monde que John Lee puisse faire
Ma ville est réduite en cendres
Plus dévastée que le Vietnam
Cela a commencé du côté de Twelve et Clairmont ce matin
Je ne connais pas la raison
Des bombes de feu éclataient tout autour de moi
Et des soldats étaient partout
Des bombes de feu tombaient tout autour de moi
Et les soldats se tenaient partout
Je pouvais entendre les gens crier
Les sirènes remplir l'air...1

Cette comparaison entre les ghettos noirs et le Vietnam ne sera pas le seul fait du bluesman. Et davantage encore qu'une simple comparaison qui viserait à souligner l'atmosphère de chaos qui règne à cette occasion, certains en viennent à considérer le lien ombilical entre ces deux contextes où une violence d'une même nature s'exerce et s'abat sur des hommes qu'il est permis de supprimer. C'est le sens de la réflexion de James Baldwin qui, dans son chef d’œuvre Chassés de la lumière, écrit à propos de la féroce répression qui s'abattra sur la la Révolution noire  :
« ...rien ne relève plus clairement les véritables  intentions de ce pays que la férocité de la répression,  la pluie de feu et de sang, qui se sont abattues sur  les Panthères, simplement parce qu'ils avaient déclaré  être des hommes [...]  Les Panthères devinrent les  Vietcongs de l'Amérique,  le ghetto joua le rôle  du village  où ils se cachaient et, au cours des opérations de fouille qui s'ensuivirent, chacun  dans le village devint suspect ». 2

Tel aurait pu peut-être le véritable sous-texte de The Motor city is burning car, ironie de l'histoire, l'étincelle qui précipita le chaos trouve son origine dans la nuit du 23 juillet lorsque des policiers investirent un bar où se tenait une soirée en l'honneur de GI's noirs revenus du Vietnam. Aussitôt sorti des lieux avec les interpellés, les policiers, qui étaient suivis du regard par une foule inamicale, reçurent un projectile qui sonna le début de la révolte...




Chafik Sayari


1. Traduction de Stéphane Koechlin, John Lee Hooker, Librio musique, 2001, p 62.
2. James Baldwin, Chassés de la lumière, Éditions Stock, 1972, p 185.


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